Le déphasage thermique est une notion importante dans le domaine de l’isolation et du confort thermique des bâtiments. Certains fabricants de matériaux en font un argument décisif, d’autres le discréditent, certainement faute de pouvoir faire mieux. Nous allons tenter dans cet article de vous expliquer l’intérêt du paramètre de déphasage thermique et ses limites, et vous exposer quelques données.
Qu’est-ce que le déphasage thermique ?
Le déphasage thermique est tout d’abord une des caractéristiques techniques d’un matériau, le plus souvent un isolant.
On définit généralement ce déphasage thermique par le temps que met la chaleur pour traverser un matériau et se propager de l’autre côté, par exemple un isolant ou une paroi composant l’enveloppe de l’habitation.
Mais, en fait, pour être plus précis, c’est le temps que met un matériau à se charger en calories (la chaleur) puis à les libérer. On simplifie donc souvent le déphasage au temps que met la chaleur pour traverser ce matériau, mais au final, le déphasage thermique est la capacité des matériaux à ralentir les transferts de chaleur, notamment du rayonnement solaire estival. En d’autres termes, c’est la capacité d’un matériau à retarder le transfert de chaleur.
D’un point de vue scientifique, il faut savoir que le flux de chaleur s’organise toujours du chaud vers le froid. Par conduction, le transfert de chaleur se fait entre des matériaux transfert ou objets . Ainsi, quand le soleil rayonne sur le toit, il chauffe les matériaux et par conduction, les calories se dirigent vers le froid.
Les matériaux de la paroi se déchargent vers la partie la plus froide, donc vers l’air intérieur. Et par convection, cet air chauffé, soit reste en haut de la pièce, soit s’évacue par les fenêtres (de toit).
L’été, les températures tant intérieures que extérieures varient et, le jour, à l’extérieur, elles sont nettement plus élevées qu’à l’intérieur.
La nuit, sous l’effet des échanges de chaleur par rayonnement, la voûte céleste étant nettement plus froide que le toit, cette paroi qu’est le toit se “vide“ de sa chaleur emmagasinée le jour.
L’air chaud de l’intérieur s’emmagasine dans la pièce (principe d’Archimède) mais sera évacué si on ouvre les fenêtres (principe de convection).
Concrètement, sur un mur extérieur exposé au soleil, la face extérieure du mur se réchauffe rapidement, mais la chaleur met un certain temps à traverser le mur et à atteindre la face intérieure. Elle s’évacue naturellement la nuit par l’extérieur mais l’air chaud intérieur doit être évacué par les fenêtres.
Plus d’infos dans notre article sur le confort thermique
Comment se calcule le déphasage thermique des matériaux ?
Le déphasage thermique d’un matériau peut être calculé de différentes manières, mais la méthode la plus courante est d’utiliser la formule suivante : (e² * ρ * c) / (λ * π)
- e est l’épaisseur du matériau (en mètres)
- ρ est la masse volumique du matériau (en kilogrammes par mètre cube)
- c est la capacité calorifique du matériau (en joules par kilogramme kelvin)
- λ est la conductivité thermique du matériau (en watts par mètre kelvin)
- π est la constante pi (environ 3,14)
L’unité du déphasage thermique est exprimée en heures. Plus le déphasage thermique est élevé, plus le matériau est capable de retarder la transmission de la chaleur.
Plus la densité du matériau sera élevée, plus ses caractéristiques de stockage thermique seront meilleures. Les isolants biosourcés sont notamment connus pour ces qualités. Le déphasage est aussi lié à l’effusivité thermique, qui combine la conductivité thermique, la chaleur spécifique et donc la masse volumique. Une effusivité élevée indique une bonne capacité à absorber et à restituer la chaleur, ce qui contribue à un bon déphasage.
Plus d’infos sur les caractéristiques thermiques d’un matériaux ici
Qui calcule la performance de déphasage des matériaux ?
Les fabricants de matériaux isolants effectuent des tests en laboratoire pour déterminer les propriétés thermiques de leurs produits, notamment la conductivité thermique, la chaleur spécifique et la masse volumique. Ces données sont ensuite utilisées pour calculer le déphasage.
Ces laboratoires indépendants réalisent des tests normalisés sur les matériaux afin de vérifier les données fournies par les fabricants et d’assurer la conformité aux normes en vigueur. Ces normes, comme les normes européennes (EN) ou les réglementations nationales (par exemple, la RE2020 en France), définissent les méthodes de calcul et les exigences minimales en matière de performance thermique des bâtiments, incluant le déphasage.
Les bureaux d’études thermiques utilisent ensuite des logiciels de simulation thermique pour modéliser le comportement des bâtiments et évaluer l’impact du déphasage des matériaux sur le confort thermique intérieur. Ils prennent en compte divers facteurs tels que l’orientation du bâtiment, les conditions climatiques et les apports solaires.
Quel est l’intérêt du déphasage thermique dans la performance énergétique ?
L’intérêt du déphasage thermique dans la performance énergétique des bâtiments est crucial, surtout en période de fortes chaleurs. Il permet d’améliorer le confort thermique intérieur et de réduire les besoins en climatisation, ce qui se traduit par des économies d’énergie et une diminution de l’empreinte environnementale.
Cela a aussi un avantage sur la santé. De nombreuses études ont montré que notre organisme est sensible aux canicules. Les pics de chaleur peuvent provoquer insolation, crampes, déshydratation, coup de chaleur, voire décès.
A Savoir : de nombreux matériaux, souvent d’origine pétrochimique, vont émettre plus de COV et autres substances toxiques dans votre intérieur, en fonction de l’élévation du niveau de température. Contrôler la température intérieure limite donc ces émissions nocives.
Concrètement, le déphasage thermique retarde le transfert de chaleur à travers les parois (murs, toiture). Ainsi, lorsque la température extérieure est élevée, la chaleur met plus de temps à se diffuser à l’intérieur du bâtiment. Cela permet de maintenir une température intérieure plus fraîche et plus stable, améliorant ainsi le confort des occupants, même pendant les pics de chaleur.

Avec un bon déphasage, la chaleur met plusieurs heures à traverser les parois. L’intérieur du bâtiment reste frais pendant la journée et la chaleur accumulée est restituée pendant la nuit, lorsque les températures extérieures sont plus froides. L’isolant s’étant chargé de calories du soleil, la chaleur se dissipe donc naturellement la nuit vers l’extérieur.
Quels matériaux privilégier pour un bon déphasage ?
Comme nous l’avons expliqué dans notre dossier, le choix du matériaux influence sur la qualité du confort thermique intérieur, il est préférable de choisir des matériaux ayant une forte inertie thermique, tels que :
- Les matériaux denses : pierre, brique terre crue, pour les sols et parois intérieures.
- Les isolants à forte densité : ouate de cellulose, fibre de bois, liège, chanvre (en bloc ou béton projeté) pour l’isolation des parois extérieures
Comparaison du déphasage thermique de matériaux isolants
Pour bien se rendre compte de l’utilité du bon choix du matériaux, voici quelques exemples de temps de déphasage thermique de matériaux du bâtiment :
Matériaux | Déphasage thermique (heures) pour 20 cm |
Acier | 1.2 |
Béton | 4.6 |
Brique terre cuite | 8 |
Bois | 12 |
Laine de verre standard | 5 |
Polystyrène expansé | 4.2 |
Polyuréthane | 5.7 |
Ouate de cellulose vrac | 6 |
Laine de coton | 6,2 |
Botte de paille | 7,2 |
Panneau Gramitherm | 7,5 |
Panneau laine de bois rigide | 10,2 |
Panneau Liège expansé | 11.6 |
Bloc de chanvre | 12.3 |
Laine de bois haute densité | 14 |
Plaque Fermacell (12,5mm épaisseur) | 1 |
Données issues du livre : Les clés du confort thermique écologique – Claude Lefrançois
Vous l’avez compris, la majorité des isolants biosourcés offre des performances en déphasage d’excellente qualité. Pourtant, ce résultat ne semble pas plaire à tout le monde.
Pourquoi le déphasage thermique fait polémique ?
Historiquement, les fabricants de matériaux dits conventionnels n’apprécient pas vraiment cet argument du déphasage qui dévalorise leurs produits. Ils minimisent son effet par le fait que leur pouvoir isolant (le lambda) suffit pour contrer la chaleur.
Sauf que le lambda de ces isolants chutent avec la montée en température, notamment au-delà de 30°. Ce qui perd donc de son intérêt face à des isolants biosourcés dont le lambda reste stable, compte tenu de la densité du matériau.
Pour d’autres, le déphasage perd en pertinence au fur et à mesure que le « pouvoir isolant » (R) de la paroi augmente. Logiquement, si une très faible quantité de chaleur traverse la paroi, peu importe qu’elle traverse vite ou lentement. En fait, une subtilité est à prendre en compte entre ces isolants : l’atténuation d’amplitude thermique. C’est le rapport entre les variations de températures extérieures et les variations de températures intérieures.
Et à ce jeu, là encore les matériaux biosourcés tirent beaucoup parti de leur densité. Ainsi, à déphasage identique, les températures intérieures seront souvent plus élevées avec les matériaux conventionnels !
Pour ces mêmes pourfendeurs, le déphasage devrait être apprécié sur la totalité du complexe de la paroi. Il perdrait ainsi en pertinence en présence de couches denses dans cette paroi, notamment pour un mur extérieur. En réalité, pas de problème de confort d’été quel que soit le matériau isolant, si vous le mettez sur un mur à forte inertie (pierre massive, par exemple).
En effet, le déphasage est surtout intéressant lorsque les possibilités d’isoler sont limitées techniquement, a fortiori, dans les espaces sous toiture qui manquent souvent d’inertie, et qui font face à un écart de température important (mauvaise ventilation de la toiture, canicule…).
C’est pour cette raison que nous conseillons la prise en compte de la performance de déphasage pour ces quelques cas :
- pour une isolation sous-toiture ;
- pour des combles perdus ;
- pour des murs plein sud à faible inertie (bois, brique creuse, parpaing, …).
Ainsi, bien que le déphasage thermique puisse contribuer au confort d’été, il ne doit pas être considéré isolément. Une approche holistique, intégrant l’ensemble des paramètres influençant le comportement thermique d’un bâtiment, est essentielle pour une isolation efficace et un confort optimal en toutes saisons.
En conclusion, le déphasage thermique est un élément clé de la performance énergétique des bâtiments. Il contribue à améliorer le confort thermique, à réduire les consommations d’énergie et à limiter l’impact environnemental. Il est donc essentiel de le prendre en compte lors de la conception ou de la rénovation d’un bâtiment.
Il est important de noter que le déphasage optimal dépend du contexte climatique, de l’orientation du bâtiment et de l’usage des locaux. C’est à un bureau d’études thermiques de réaliser une étude spécifique pour déterminer les solutions les plus adaptées à chaque projet. Les professionnels du réseau Nature & Développement peuvent vous mettre en rapport avec un bureau d’études thermiques spécialisés dans les matériaux biosourcés.
Crédits photos : Nelson Santos Jr sur Unsplash, rihaij sur Pixabay,
Bel article, bravo. Le déphasage thermique est très important, mais il n’est pas tout, c’est pourquoi on ne peux pas additionner les couches et dire: cela fait tant. Car une fois la chaleur rentrée, (ex ouverture des baies…)celle-ci ne peut être pompée par des isolants légers, donc il reste des isolants avec des densités correctes comme les blocs de chanvre, ou comme l’apport d’argile en intérieur.
Merci Jean-Marc.
En effet, et en plus ces isolants biosourcés réguleront l’humidité de l’air 😉